S’il y a bien une question épineuse quand on se lance dans une entreprise créative c’est celle de fixer ses prix. Évaluer la valeur de son propre travail n’est évidemment pas une chose facile. Alors voici quelques éléments pour vous aider à y voir plus clair.
Tout d’abord, il est nécessaire d’opérer un changement d’état d’esprit par rapport à la tentation de fixer des tarifs bas. Nous vous donnons ensuite trois méthodes pour fixer ses prix avec les critères à prendre en compte.
C’est parti ⤵️
Les inconvénients de fixer un prix trop bas
L’une des erreurs que font le plus souvent les artistes qui commencent à se professionnaliser est de fixer des prix trop bas. Mettre un prix bas à d’énormes inconvénients, pour soi-même et pour toute l’industrie.
Pratiquer des prix bas est d’abord le risque de ne pas pouvoir vivre de votre activité. Même si au début c’est un projet à côté de votre activité principale, à long terme, pratiquer des prix bas est plombant. Au bout d’un moment vous finirez par penser “je ne peux pas vivre de mon art”, “je n’arriverai jamais à me dégager un salaire viable”.
Les prix bas sont souvent associés à l’idée de “produit de mauvaise qualité”. C’est le signal que vous risquez d’envoyer à l’acheteur et aussi à vous-même. À force, c’est le risque d’une mauvaise estime de vous et votre travail.
Il faut sortir du mythe de l’artiste maudit. Ce n’est pas parce qu’on est artiste qu’on ne doit pas gagner sa vie. C’est normal de payer son garagiste ou son docteur pour son expertise, c’est normal aussi de rémunérer correctement un artiste pour son travail.
Alors commencez à pratiquer des prix juste dès le début.
Trois stratégies pour fixer le prix de ses œuvres
Il n’y a pas une unique façon de fixer ses prix et vous pouvez être amenée à opter pour une méthode ou une autre en fonction du contexte de la demande.
Fixer ses prix : le cas où il existe un prix mais on ne le connaît pas
Ce cas se produit bien plus souvent qu’on ne le pense. Il s’agit de la grande majorité des contrats passés avec des marques (par exemple pour vendre un motif, une illustration…).
Les entreprises auxquelles vous allez vendre vos créations sont habituées à des prix. L’enjeu pour vous est de les trouver pour savoir comment vous positionner.
Comment trouver les prix du secteur
Pour trouver les prix habituellement pratiqués dans une industrie, il va falloir commencer par faire des recherches sur celle-ci.
Le plus simple est de demander directement à d’autres artistes, par exemple sur des groupes Facebook. Il en existe pratiquement sur tous les types de métiers, c’est un précieux soutien quand on est indépendant (et donc seul). Les autres artistes communiquent facilement sur leurs tarifs car la transparence permet d’éviter de tirer les prix vers le bas par les clients.
Pensez aussi à vous renseigner auprès des syndicats et associations de professionnels. Ces organisations sont souvent très aidantes et délivrent beaucoup d’informations sur leurs industries. La plupart du temps il faut en être adhérent.
Pour la création de motifs par exemple, il existe La Trame, la Fédération française de design textile et surface. Cet organisme communique régulièrement sur les prix des motifs et propose des conférences sur d’autres sujets administratifs.
Dans le même secteur, le site internet Textile Addict réalise des enquêtes auprès de son audience pour étudier le marché. Grâce à cela, ils ont récolté des moyennes sur les tarifs pratiqués. L’ensemble est détaillé dans un article précieux sur la fixation des prix des motifs textile.
Pour les illustrateurs et créateurs des arts visuels, l’association Central Vapeur Pro fournit à ses adhérents des grilles tarifaires pour aider à établir ses devis. Ils fournissent aussi des outils pour évaluer la rentabilité d’un contrat d’édition.
Nous vous encourageons vivement à chercher ces organismes pour votre secteur.
Le prix s’ajuste en fonction de l’utilisation
Maintenant vous avez les prix de votre secteur, pour ajuster au mieux votre prix par rapport à la demande de votre futur client, il faut récolter un max d’infos sur ce dernier.
Posez des questions sur l’utilisation de votre création :
- Le type de support sur lequel elle sera utilisée
- Le volume de diffusion
- La durée
- Le périmètre géographique
Déterminez quel est le type et l’envergure du client en le situant sur son marché (haut de gamme, grande distribution, etc.).
Enfin, pensez à faire préciser s’ils souhaitent une utilisation exclusive ou non de votre création. C’est très généralement le cas, surtout quand il s’agit d’une commande personnalisée. Mais ce n’est pas systématique. Par exemple, si un client a repéré une création sur votre compte Instagram, il peut accepter que vous puissiez l’utiliser pour d’autres projets, voire qu’elle est peut-être déjà utilisée pour vos propres produits (par exemple si vous vendez des affiches/prints de celle-ci).
Tous ces éléments sont à prendre en compte dans la fixation de ses tarifs. Ce n’est pas la même chose si le produit est vendu à des millions d’exemplaires dans plusieurs pays qu’à une centaine à un événement local.
Adaptez le prix du secteur par rapport à ces éléments. Par exemple, si le prix du secteur est habituellement pour une illustration exclusive mais que le client souhaite une illustration déjà utilisée par ailleurs, le prix sera plutôt à moduler à la baisse. Si le prix du secteur est pour l’utilisation d’une illustration sur un produit fini mais que le client souhaite décliner plusieurs produits avec la même illustration, vous pouvez majorer.
S’ajuster au client et négocier
Une fois qu’on a trouvé et ajusté ce prix, on le propose au client/à la marque. L’étape suivante sera de s’ajuster à sa réaction :
- Si elle accepte tout de suite, c’est peut-être que vous étiez en dessous du marché. Vous le saurez alors pour la prochaine fois. Cela peut aussi être car les prix sont standardisés au niveau du secteur et qu’elle a l’habitude de voir ce prix (surtout si ce sont les prix communiqués par les associations de professionnels).
- Si elle négocie, c’est que vous êtes OK niveau prix. Il ne faut pas croire que les négociations veulent dire que votre proposition n’est pas pertinente ou que le prix n’est pas le bon. C’est juste comme ça que ça fonctionne. Il faut alors convaincre la marque que c’est un prix juste pour cette demande. Cela fait partie du métier de négocier le contrat, dont le prix est un élément. Dans tous ses contrats passés avec des marques, tous, Marie a eu des éléments à négocier.
Fixer ses prix : la tarification basée sur les coûts (cost based)
Ce cas est à utiliser quand il semble pertinent de facturer le client par rapport au temps passé pour produire le travail. L’avantage de cette méthode c’est qu’elle permet d’appliquer une technique précise et détaillée. Ça peut être bien si vous êtes stressée à l’idée de fixer un prix qui ne vous permet pas de dégager de marge.
Avec cette méthode, pour fixer votre prix, vous allez prendre en compte vos coûts en termes de frais et de temps, et ajouter une marge.
Récolter son temps de création et de travail
Tout d’abord, essayez d’évaluer le plus précisément possible le temps que vous avez passé sur votre création. Pensez à bien inclure les temps de travail qui ne sont pas directement de la création. Des applications comme Toggl peuvent vous aider à calculer ces temps.
C’est plus difficile lorsque l’on doit établir un devis à l’avance (donc sans avoir déjà effectué le travail). Dans ce cas, il faut estimer le plus justement possible le temps que vous allez passer. Se baser sur ses précédents projets est une façon de faire. Une bonne pratique est aussi d’ajouter du temps pour les imprévus.
Lister ses coûts de production
Estimez le coût de votre matériel : en plus du matériel créatif, pensez aux licences d’utilisation des logiciels (Photoshop, Procreate, etc.), à vos machines (ordinateur, scanner, imprimante…), aux emballages si cela vous concerne…
Tous ces coûts devront être récupérés dans vos tarifs.
Comment fixer son taux horaire ?
Voici un exemple :
Vous souhaitez gagner 2000 € net par mois et vous déclarez votre chiffres d’affaires sous le régime de la micro-entreprise :
- On ajoute une approximation de 25 % à 2000 € pour couvrir les charges et impôts (21,30 % de cotisations en BNC + la CFE + votre impôt sur le revenu + de légers frais de matériel) : 2500 €
- Pour avoir le CA à faire par heure travaillée, on ramène le CA mensuel au nombre d’heures travaillées dans le mois. Avec une hypothèse de 35 h/semaine soit 151,67 h/mois : 2500 € / 151,67 h = 16,5 €/h
- Vous travaillez la moitié de votre temps sur des tâches que vous ne pouvez pas facturer directement : 16,5 x 2 = 33 €/h
- Votre taux horaire doit être d’au moins 33 €/h.
- Vous pouvez ajouter une marge.
Si votre client commande une illustration sur laquelle vous allez passer 10 heures de travail, avec cette méthode vous devez facturer au moins 330 € cette illustration.
Vous pouvez aussi faire ce calcul grâce à ce simulateur en ligne de taux horaire.
Ce modèle est pratique pour les personnes qui ont besoin de tout calculer. Mais cela dépend beaucoup des personnalités. Marie n’a jamais fixé ses tarifs avec la méthode cost-based, elle n’a jamais calculé de taux horaire, elle n’aime pas ce genre de techniques très détaillées. Elle préfère la méthode value based.
Fixer ses prix : la tarification basée sur la valeur apportée (value based)
Il arrive aussi qu’on fournisse une création à haute valeur ajoutée pour le client, mais qui prend peu de temps à réaliser. Par exemple :
- Un client vous demande une illustration déjà produite. Vous n’allez pas facturer le temps passé en échange de mail pour lui livrer cette illustration.
- Vous créez des faire-part de mariage, un logo… Ce qui intéresse le client là ce n’est pas le temps que vous y passez, mais d’obtenir un résultat bien précis pour quelque chose qui compte énormément pour lui.
Dans tous ces cas, vous allez fixer vos prix en fonction de la valeur que vous apportez à votre client. C’est une méthode particulièrement adaptée pour l’art puisque par définition on fournit des œuvres uniques. Un client ne peut pas aller chez un concurrent pour avoir la même chose. Cela valorise l’unicité de votre travail d’artiste. Même si d’autres artistes peuvent répondre à une commande pour une marque, ils n’auront pas votre style, vos idées, votre palette de couleur… À vous de vous démarquer et de montrer votre valeur à votre client.
Le gros avantage de cette méthode c’est qu’il n’y a pas de limite. On peut s’autoriser à vendre quelque chose 5000€ même si on n’a pas passé 1 mois et demi de travail dessus. Au fur et à mesure de vos ventes, votre valeur se définira plus facilement avec la demande. Par exemple, Roberta Boffo, une artiste italienne, vend ses œuvres jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Pourtant ce n’est pas la seule artiste au monde à faire un style très minutieux. La différence c’est qu’elle met en valeur son art.
La première méthode dans cet article, chercher les prix de l’industrie, est déjà une forme de value-based pricing : on fixe son prix en fonction du marché, pas en fonction de combien ça nous coûte.
Petit point d’attention avec cette méthode : vérifier qu’on rentre bien dans ses frais. Si le prix du marché est moins cher que ce que ça nous coûte de fabriquer, on ne peut pas continuer.
Une autre forme de value-based pricing, adaptée aux produits plus uniques, comme les ateliers, les cours, c’est de réfléchir à la valeur pour le client. Il y a des cours d’aquarelle gratuits, d’autres à 5€, d’autres à 500€. La différence c’est de se poser des questions comme “Que cherche mon client avec ce cours ? Comment aura-t-il changé quand il l’aura suivi ? Qu’est-ce que ça lui permettra de faire qu’il ne pouvait pas faire avant ?” et de mettre un prix en fonction de ça.
Évidemment on ne trouve jamais le prix juste du premier coup. On apprend avec l’expérience, avec les retours clients. Ces méthodes doivent surtout vous aider au début si vous ne savez pas par où commencer.
Enfin n’oubliez pas que ces méthodes ne sont pas exclusives. On fait souvent un mix.
Aller plus loin
Quel statut pour déclarer les revenus de mes œuvres ?
Vous commencez à avoir des sollicitations, vous avez fixé vos prix et vous n’attendez plus que la signature d’un devis mais vous ne savez pas comment déclarer ensuite ces revenus ? Rejoignez notre cours Les statuts pour le créatif pour avoir toutes les réponses à vos questions.
C’est à vous !
Fixer ses prix est une opération qui peut paraître délicate. Grâce à nos conseils, vous avez enfin des éléments concrets pour savoir quels critères prendre en compte. Ils peuvent être résumés ainsi :
- La valeur apportée au client
- Les standards de votre industrie
- Le temps passé pour vous
Il n’y a pas de règle fixe, pour fixer son prix on pioche souvent dans ces différents critères.
Le conseil le plus important à retenir : fixez des prix justes dès le début et non trop bas.
Aviez-vous en tête tous ces éléments ?
Quelles autres questions avez-vous sur la fixation des tarifs ? Dites-nous en commentaire. Il est bien possible que nous prévoyons un cours sur le sujet à l’avenir.
Bonjour,
Illustratrice depuis les années 70, je connais pas mal la profession, mais votre site m’a beaucoup plu, c’est très précis et tout est clair. Bravo ! Actuellement j’ai envie de vendre mes idées de vases peints à la grande distribution , c’est comme ça que j’ai ouvert votre site… Regardez le mien si ça vous intéresse.
Cordialement.
Bonjour Anne France,
Merci pour votre retour enthousiaste sur nos contenus !
Nous vous souhaitons tout le succès possible pour ce projet !
A très vite.