Vous entendez peut-être parler de l’application Cara de partout ? Beaucoup d’artistes que vous suivez sur Instagram disent y migrer ? Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que ça vaut le coup ? J’ai testé ce réseau social et je vous donne mon avis dans cet article.
Cara est le nom d’un réseau social qui s’adresse aux artistes. Il est disponible via une application mobile mais il est également possible de l’utiliser sur ordinateur. L’interface se présente comme un mix des fonctionnalités d’Instagram et d’Artstation.
Il a été créé par Jingna Zhang, une photographe et réalisatrice singapourienne qui habite aux États-Unis. L’idée de Jingna était que les artistes puissent disposer d’un espace qui protège leur propriété intellectuelle de l’IA.
Cara a été lancée vers avril 2023, mais c’est en ce moment qu’il fait beaucoup parler de lui. La raison ? Meta (la maison mère de Facebook et Instagram) a annoncé en juin 2024 une modification de leur politique de confidentialité pour se donner l’autorisation de collecter les données des utilisateurs pour entraîner leur système d’IA.
En Europe, grâce à la protection du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), nous avons la possibilité de nous opposer à cette utilisation (voir à la fin de l’article).
Une vague de réactions à cette annonce a propulsé l’application Cara directement dans le top des applications les plus téléchargées aux États-Unis. À ce jour, elle enregistre plus de 650 000 utilisateurs.
Une promesse contre l’IA … pour le moment
Cara se positionne fermement contre l’utilisation de l’IA. Il est interdit de publier sur la plateforme des œuvres générées par l’IA. L’idée c’est que les personnes qui souhaitent voir le travail d’artistes humains puissent y avoir accès facilement.
C’est une bonne démarche mais l’efficacité réelle de cette politique repose sur une application tierce. Quel est le niveau de filtre de ce système ? Je doute de la fiabilité à identifier à 100% si une image a été générée avec l’IA ou pas. La véracité de l’engagement anti-IA dépend plutôt de l’honnêteté individuelle des artistes lors de leurs téléchargements.
Avec l’utilisation massive de l’IA générative, nous avons décidé de créer un espace qui filtre les images générées par IA afin que les personnes souhaitant trouver des créations et des œuvres d’art authentiques puissent le faire facilement.
Notre position sur l’IA : nous ne sommes pas d’accord avec les outils d’IA générative dans leur forme actuelle qui est contraire à l’éthique, et nous n’hébergerons pas de portfolios générés par l’IA à moins que les problèmes d’éthique et de protection des données ne soient résolus par la réglementation. Et même dans le cas où une législation serait adoptée pour protéger clairement les artistes, nous pensons que le contenu généré par l’IA devrait toujours être clairement indiqué, car le public devrait toujours pouvoir rechercher facilement des œuvres d’art et des visuels créés par des humains.
Traduction de About Cara
Le positionnement de Cara contre l’IA est fort mais aussi contextuel. Cela pourrait changer en fonction des législations ou des politiques des IA existantes sur les questions d’éthique et de protection des données. Pour autant, pas mal d’artistes voudraient que ça soit une opposition ferme sans condition.
Des fonctionnalités plutôt sympa… mais familières
Cara propose des fonctionnalités que je trouve très intéressantes :
- La possibilité de faire un portfolio
- La possibilité d’échanger façon communauté / commentaires de blog avec les autres artistes
- Ca fonctionne bien sur mobile et aussi sur ordinateur de bureau
- Il y a un challenge par mois proposé par l’équipe de Cara
- Les challenges artistiques sont mis en avant
- Il y a des sélections et mises en avant de créateurs dans des articles de blog
Mais comme le dit David Revoy (un artiste français engagé dans l’open source) c’est quand même très très proche d’Instagram et de Artstation. D’ailleurs est-ce que c’est ok de faire autant proche ? Je ne sais pas.
Aussi, cela reste assez basique comparé à Instagram qui propose aussi les stories, les posts, les reels, les carrousels, les notes, les stickers…
Remettre l’art au centre, avec moins de pression
Abandonner les codes des réseaux sociaux traditionnels, comme Instagram, apporte un soulagement significatif à de nombreux artistes. Sur Cara, pas besoin de faire des vidéos format court, pas besoin de se mettre en scène, de montrer les coulisses, de chercher à apporter de la valeur, des conseils ou de suivre d’autres codes exigeants.
C’est tellement agréable de voir autant d’artistes talentueux réunis en un seul lieu ! Je commençais à en avoir assez de voir toujours les mêmes tendances ou œuvres recyclées sur Instagram.
@pocaarii
Cara redonne aux artistes le plaisir de partager leur travail sans crainte que leurs œuvres soient utilisées par des IA sans leur consentement. C’est la joie de connecter aux autres, là où sur Instagram, il y avait une perte du fun avec la pression de faire du parfait.
Est-ce étrange de trouver une app… libératrice ? Je ne suis sur cette app que depuis quelques jours maintenant et je n’ai jamais été aussi motivé à créer de nouvelles œuvres et aussi, je ne ressens pas la pression que je ressentais sur Instragam. J’ai l’impression que je n’ai pas à être parfait ou de choisir mes plus belles créations pour recevoir des likes afin que mon compte reste pertinent. Je peux poster ce que je veux.
@kaeladraws
Un algorithme tout neuf : nouveau shinny object ?
C’est le début de la plateforme, il n’y a pas encore trop de monde et potentiellement, tout le monde peut grossir. De plus, c’est une plateforme pour les artistes donc il y a moins de compétition avec d’autres types de contenu (sport, cuisine, influence…). A priori, l’algorithme est plus simple que sur Instagram, avec un ordre chronologique. Résultat : certains créateurs voient plus d’engagement que sur d’autres plateformes et ont des échanges riches avec d’autres artistes.
J’ai eu des interactions que je n’ai pas eu depuis mes années lycées. Avoir des conversations sur les idées, les symboliques, des conseils artistiques. Les pro aident les débutants.
@sassmaster
C’est de ça dont on avait besoin… les plus gros artistes qui créent du lien avec les plus petits, chaque artiste qui peut entrer en relation avec ses fans, et tout le monde qui profite finalement. Nous ne faisons plus que scroller sans réfléchir et courir après les likes. Je reçois déjà pratiquement 3 fois plus d’engagement avec une fraction d’abonnés ! C’est incroyable !
Cela couplé au fait qu’on peut avoir des discussions type forum/blog créent une ambiance qui motive certains artistes à créer et partager alors que c’est drainant sur Instagram où la frustration contre l’algorithme s’est accumulée au fil des années.
D’un autre côté, cela crée du FOMO (Fear of Missing Out – Peur de rater quelque chose). Comme le dit David Revoy, beaucoup d’artistes disent rejoindre pour éviter qu’on leur vole leur identifiant… mais au fond il est évident que beaucoup rejoignent de peur de rater quelque chose “au cas où” ça explose. Le problème, c’est que ça demande quand même des efforts d’être sur une nouvelle plateforme.
L’algorithme est basé sur l’ordre chronologique et les posts les plus likés ressortent le plus sur la page d’accueil. Certains artistes avec des grosses communautés ramènent leur audience et ce sont eux qui ressortent donc le plus.
Ce n’est pas si facile que ça de se faire connaître. Les codes justement ne sont pas établis. Faut-il utiliser les hashtags ? La page “Explore” montre toujours à peu près les mêmes créations. Finalement c’est là qu’on se rend compte à quel point Instagram et Pinterest nous connaissent bien et nous proposent des choses qu’on aime facilement.
Et oui finalement, c’est toujours la même chose. Pour avoir du succès ce n’est pas juste avoir le bon algorithme, c’est publier du travail de qualité qui résonne avec les gens. C’est peut-être plus facile au début avec Cara de se faire connaître. Mais face à mes observations, je ne suis pas convaincue.
Entre artistes… et c’est tout…
Bien que Cara offre un espace sécurisé et solidaire pour les artistes, cela peut créer un effet de vase clos – en plus quasiment exclusivement anglais.
D’une part, je trouve ça dommage finalement que notre art ne soit vu que par des artistes. L’art c’est appréciable par tous, et c’est ce qui me plaît, que tout le monde puisse en profiter.
D’autre part, j’ai l’impression qu’il y a le ressenti qu’en tant qu’artiste on a été beaucoup persécutés et que ça fait du bien de se retrouver entre personnes qui se comprennent dans leurs problèmes. Sauf que parfois ça me donne l’impression de contentement à se morfondre ensemble au lieu de s’ouvrir aux réalités du monde.
Une app de confiance… qui a ses limites
Ne pas revendre les données, prioriser les artistes au business, être éthique… c’est une bonne démarche, c’est bien qu’il y ait ce positionnement.
Ça soulage beaucoup d’artistes par rapport à Meta et la modification de l’utilisation de nos données. Oui mais, ce n’est pas possible de se protéger à 100%. À partir du moment où on met des images en ligne, elles peuvent être utilisées comme référence.
J’ai donné à Midjourney les liens de mes posts Cara et je lui ai demandé de faire une aquarelle florale à partir de ces références, sans préciser mon nom.
Voici ce qu’il me donne :
Les résultats sont déjà bluffants alors que l’IA n’a pas été entraînée sur mes peintures. Elle est capable de s’adapter aux images de référence qu’on lui fournit.
Les app de génération d’images (GenAI) sont déjà en mesure de faire beaucoup. Au contraire, c’est presque plus facile d’aller piocher dans de beaux portfolios sur Cara, au lieu de mises en scènes sur Instagram par exemple.
Des abonnés : pourquoi faire ?
Cette nouvelle app pose la question : pourquoi en tant qu’artiste chercher à avoir de la visibilité, des abonnés ?
Je vois deux réponses possibles :
- Pour échanger avec d’autres artistes, pour être motivés par le groupe.
- Pour faire découvrir son travail, décrocher des projets, vendre des créations.
Dans le second cas, en tant qu’artiste pro ou aspirant pro, ça risque d’être difficile de trouver des clients sur Cara. Ok il y a tout un système de job offers. Ok de potentiels clients pourraient entendre parler de Cara et chercher dessus. Mais, en l’état, ça reste un vase clos d’artistes.
En plus, je trouve très compliqué la recherche sur Cara. Les filtres sont limités. Par exemple, quand on publie dans le portfolio, on peut choisir certaines catégories. Pour la catégorie médium, il y a juste “traditional”, pas la possibilité de spécifier “aquarelle” ou “huile” par exemple. Pour le thème, on trouve seulement “Animals, Portrait, Stil life… ” et même pas “landscapes, florals” par exemple. Par contre on peut spécifier le logiciel utilisé parmi une liste de +300 (!!) et choisir comme thème des choses autant précises que “3D scanning, architectural concept, Board game art, Concept art, Character design”. On sent que c’est pas mal empreint d’une communauté Concept art/Jeu vidéo/Digital art (communautés très présentes sur des sites comme ArtStation dont Cara semble s’inspirer).
Est-ce que je mets des chances de mon côté pour être trouvée par des clients sur cette plateforme en tant qu’artiste en traditionnel ? Pas sûre du tout.
Une équipe motivée mais un projet en beta et une stabilité non garantie
L’application est développée par une petite équipe de volontaires motivée et porteuse de vraies valeurs. Ils préviennent qu’il pourrait y avoir de gros bugs, je n’en ai pas vu personnellement. Il n’est pas possible d’avoir un support car ils croulent déjà sous les messages.
Nous sommes un petit groupe de bénévoles, et notre capacité à faire les choses que nous souhaitons accomplir est limitée par nos moyens humains, financiers, et des choses pourtant simples demandent du temps.
Traduction de About Cara
Jingna Zhang, la fondatrice de Cara, a publié un message mentionnant que le projet est une initiative passionnelle qui rencontre des défis financiers significatifs. Elle a souligné que, malgré la croissance rapide et le succès initial de l’application, il n’est pas garanti que Cara puisse continuer à fonctionner à long terme sans un soutien financier accru. Zhang a encouragé les utilisateurs à contribuer via le financement participatif (pay me a coffee) pour aider à maintenir la plateforme en vie (rien que les serveurs coûtent $13500/mois).
Cela n’est pas rassurant, si je décide de m’investir dans une plateforme, je n’ai pas envie que dans 6 mois ça s’effondre car il n’y a pas de fonds pour financer. Et imaginons qu’il y ait des financements, ce n’est pas sûr qu’ils puissent poursuivre leur politique de non revente des données.
Quel business model pour Cara ? Je leur souhaite de trouver des solutions. Mais les gens sont habitués à du gratuit, à du standard Instagram en terme d’expérience utilisateur. En plus des artistes ne sont pas une cible connue pour avoir de gros budgets : vont-ils subventionner ce genre de plateforme ? Personnellement je ne vais pas investir mon temps dans un projet autant beta.
Conclusion
Là où Cara apporte vraiment quelque chose selon moi, c’est sur l’aspect communauté. Pouvoir échanger de manière simple et fluide avec d’autres artistes est un vrai avantage.
Malgré cela, non je ne vais pas utiliser Cara.
Cela me semble être beaucoup trop d’efforts à fournir pour alimenter une nouvelle plateforme qui n’est pas garantie dans le temps. Et encore plus car je ne pense pas que cela va m’aider à trouver des clients.
Mon art sera peut être utilisé par Meta pour créer des IA, j’en ai conscience. Je vais quand même remplir le formulaire d’opposition pour essayer d’éviter au maximum cela. Mais je ne pense pas que mon art soit vraiment 100% à l’abri sur Cara.
C’est comme ça quand on publie sur internet, on sait que nos visuels peuvent être utilisés par d’autres, même si on n’est pas d’accord. Et personnellement, je n’ai pas besoin d’être spécialement ménagée de ces réalités en tant qu’artiste.
En conclusion, Cara sera sans moi pour le moment.
La démarche pour s’opposer à l’utilisation de ses données par Meta
Pour vous opposer à l’utilisation de vos données, vous devez remplir un formulaire spécifique. Si vous ne le remplissez pas, Meta considère par défaut que vous donnez votre accord.
Si ce n’est pas déjà le cas, Instagram et Facebook vont vous envoyer un email pour vous prévenir de la modification de leur politique de confidentialité pour l’entraînement de leur IA. Dans ce mail, vous avez un lien “droit de vous opposer”. Cliquez dessus.
Vous arrivez sur un formulaire intitulé “Vous opposer à l’utilisation de vos informations pour l’IA de Meta” (si vous n’avez pas reçu le mail, vous pouvez cliquer directement sur le lien ici). Remplissez tous les champs obligatoires.
Dans la case “Veuillez nous expliquer l’incidence de ce traitement sur vous.” vous pouvez expliquer pourquoi vous ne souhaitez pas donner votre accord. Si vous ne voulez pas rédiger, vous pouvez simplement copier/coller le lien vers le site de la CNIL (l’organisme français chargé de la protection des données personnelles).
Après validation, vous recevrez un message vous informant que Meta va étudier votre demande. Et peu de temps après, vous recevrez une confirmation de la prise en compte de votre refus.